Passé maître en termes de AAA narratifs depuis plusieurs années maintenant, PlayStation ne s’aventure que très rarement du côté du jeu indépendant avec ses exclusivités. De ce fait, lorsqu’un nouveau pas est réalisé en ce sens, il est difficile de ne pas voir sa curiosité être titillée par le résultat. C’est le studio américain Pixelopus qui a eu la lourde charge d’aller tâter le terrain avec Concrete Genie, sorti le 8 octobre dernier en exclusivité sur PlayStation 4. Notre question sera donc la suivante : la firme japonaise dispose-t-elle du même talent pour produire des AAA et des jeux indépendants ? Réponse tout de suite.
L’art, la meilleure arme contre l’adversité
L’histoire de Concrete Genie est simple. On incarne Ash, un jeune adolescent qui compense sa triste solitude en se consacrant corps et âme à sa passion pour la peinture et le dessin. Tranquillement installé au port de pêche de la ville de Denska, il profite d’un moment de calme pour ajouter quelques croquis à son carnet de dessins déjà bien rempli. Mais il va être interrompu par un groupe d’individus de son âge, visiblement coutumiers de harcèlement physique et moral à son encontre. Ces derniers vont aller jusqu’à lui voler la seule chose qui compte pour lui, à savoir son carnet, pour le déchirer sous ses yeux. Impuissant, il ne peut que constater le fruit de son travail s’envoler avant d’être enfermé de force dans la télécabine conduisant au phare de la ville, où il se retrouvera coincé.
C’est ainsi que commence l’aventure. Cependant, elle va rapidement prendre une tournure inattendue lorsque après avoir mis la main sur un mystérieux pinceau dans le sous-sol de l’édifice, Ash se retrouve soudainement doté du pouvoir de donner vie à ses peintures. Accompagné de sa première création, un génie lumineux répondant au doux nom de Luna, l’adolescent va alors se lancer dans un périlleux voyage visant à sauver Denska de toute la présence ténébreuse qui y a peu à peu élu domicile. Pour cela, il va néanmoins devoir affronter ses propres démons au passage, à savoir le groupe d’adolescents qui le harcèle, car ces derniers rôdent dans les rues et ne sont rechignent jamais à en remettre une couche dès qu’ils en ont l’occasion.
J’veux des paillettes dans ma ville Ash !

Nous voilà donc partis pour cinq à six heures d’exploration au cours desquelles nous n’aurons qu’un seul et unique objectif : illuminer les rues de Denska de notre art. En effet, l’essentiel de l’aventure se présente sous la forme d’une ode à la créativité au cours de laquelle le joueur, armé de son pinceau, s’amuse à peindre les murs pour redonner de la couleur à une ville bien trop sombre. Mêlant quelques séquences de plates-formes à une légère touche de réflexion par endroits, Pixelopus nous offre surtout l’opportunité de laisser libre court à notre imagination et à notre talent pour donner vie à toutes sortes de paysages et de personnages, appelés génies, que l’on conçoit de toute pièce à partir de motifs pré-existants. On appréciera notamment la grande liberté qui nous est offerte puisque chacun est libre d’avancer à son rythme. Entendez par-là que si vous voulez passer dix minutes sur un seul et même mur pour peindre le plus beau des tableaux, vous le pouvez. Si au contraire vous souhaitez aller à l’essentiel, le jeu ne vous en tiendra pas rigueur pour autant, tant que les objectifs sont accomplis.
La progression au sein de l’histoire, qui se fait de manière assez linéaire, reste toutefois teintée d’une certaine dose d’exploration au sein d’environnements ouverts. Les rues de Denska vous permettront de remettre la main sur l’ensemble des pages perdues du croquis de Ash, qui représentent autant de nouveaux motifs à utiliser par la suite pour créer vos œuvres, mais aussi de réaliser de petites activités annexes pouvant donner lieu à des séquences remplies de mignonnerie. On pense notamment à toutes celles impliquant les génies auxquels vous donnerez vie et avec lesquels vous pourrez par la suite interagir de multiples manières, au point finalement de développer une véritable relation et affection avec chacun d’eux. Bichonnez-les en peignant ce qu’ils vous demandent et ils vous le rendront, soit par de petites animations amusantes et pleines de charme, soit en vous offrant de la super-peinture qui vous aidera à combattre les ténèbres. Parfois même, leur aide se révèlera indispensable pour pouvoir progresser : seul ou à plusieurs, ils pourront vous donner un coup de main pour débloquer un passage ou vous créer un accès.
À première vue, le fait de se dire que l’on va passer plusieurs heures à se contenter de peindre des murs en évitant à de rares occasions un groupe d’adolescent via des séquences d’infiltration extrêmement bancales peut ne pas paraître très emballant. Mais croyez-le, et c’est là toute la force de cette œuvre, votre immersion dans le monde de Concrete Genie se fera de manière si fluide et si puissante que vous n’aurez pas le temps de vous ennuyer. D’autant plus que l’aventure laisse tout de même de la place à un peu d’action. Sans trop en dire pour ne pas vous gâcher l’expérience, vous serez en effet à un moment confrontés à des génies ténébreux que vous devrez chasser et combattre dans les rues de la ville. De quoi accélérer un peu le rythme avec des séquences qui sont, certes, malheureusement un peu trop classiques, mais qui s’insèrent parfaitement dans l’univers du titre sans en casser l’ambiance.
Un monde teinté de clair-obscur
Si on pourra éventuellement lui reprocher un léger manque de prises de risques côté gameplay ainsi que quelques animations assez brusques, en particulier lors des phases de plates-formes, on lui pardonnera volontiers tant il parvient à compenser par de nombreux atouts supplémentaires. On ne peut par exemple qu’être charmé par la direction artistique relativement singulière du titre, qui propose une patte graphique de toute beauté jouant habilement sur les contrastes entre l’obscurité et la lumière. Cette ambiance unique est alors renforcée par une bande-son de qualité qui, tout en étant assez discrète, parvient suffisamment à marquer sa présence pour rendre les séquences de jeu plus immersives encore. Sans oublier le doublage français, qui représente pour le coup la cerise sur le gâteau tant il est réussi.
Vous l’aurez compris, Concrete Genie n’est pas en reste. Mais il possède une dernière corde à son arc et elle n’est définitivement pas des moindres. Le titre de Pixelopus parvient également à nous marquer par la qualité de sa narration qui, à sa manière, n’a absolument rien à envier aux meilleurs AAA narratifs auxquels nous ont habitués les autres studios de Sony Interactive Entertainment. Alors qu’il aurait facilement pu tomber dans du déjà-vu et de la mièvrerie à outrance, le scénario du jeu nous délivre des messages forts véhiculés à travers une écriture qui se veut la majeure partie du temps des plus subtiles. Sans trop en faire ni trop en dire, il nous pousse à nous interroger et nous apprend à creuser pour découvrir ce qui se cache sous la surface. Il nous apprend à faire preuve d’empathie et de respect envers les autres, mais aussi envers le monde qui nous entoure. Autant dire que de parvenir à mettre en scène une aventure aussi touchante, émouvante et bouleversante en si peu d’heures de jeu est un bel exploit.
Désormais, le doute n’est plus permis. Si PlayStation nous a montré à de multiples reprises son talent pour produire des AAA narratifs de grande qualité, cette exclusivité développée par Pixelopus nous prouve qu’ils disposent du même talent sur la scène des jeux indépendants. En quelques heures seulement, Concrete Genie parvient à nous immerger dans un univers doux et poétique, presque onirique, et à nous délivrer avec beaucoup d’émotion de puissants messages sur le monde qui nous entoure. Il est certain que cela ne peut qu’être encourageant pour l’avenir de la firme, qui gagnerait réellement à s’impliquer davantage dans cette voie et qui possède visiblement déjà les bons studios pour que cela se solde par une belle réussite.
Dans l’ensemble, je partage ton avis, même si j’ai été un peu moins convaincue par le titre. En effet, je regrette qu’il ne soit pas plus subtile encore en terme d’écriture. (Bien des jeux indés nous ont même montré qu’ils n’ont pas besoin de dialogues pour se faire comprendre). Et le gameplay est un rien dirigiste malgré son concept artistique. J’ai aussi été surprise par le rythme. Les phases d’action et de combat que tu cites n’entrecoupent pas les phrases de peinture et d’exploration mais s’enchaînent à la fin. Le jeu reste malgré tout une très belle expérience que je ne regrette pas d’avoir fait. Comme toi, j’ai été charmée par l’ambiance, et surtout, je suis amoureuse du concept et de la direction artistique ! Oui, le jeu met un peu de paillettes dans notre vie et il en faudrait davantage comme ça. 😀
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai l’impression d’avoir davantage été touché par ce jeu que beaucoup de personnes, je me demande comment ça peut s’expliquer. L’histoire a vraiment eu un effet sur moi que je ne saurais expliqué, je me suis vraiment attaché aux personnages et à leur histoire. Après, de mon côté, je suis davantage sensible à ce type d’œuvres qu’à des Limbo/Inside, que j’ai adorés mais où il n’y a pas de dialogue justement. Ce n’est pas forcément utile pour faire passer un message, mais pour moi ça reste plus intéressant.
J’aimeJ’aime
Tu n’as pas à te justifier d’avoir adoré le jeu, mais c’est sûr que c’est toujours intéressant de se demander pourquoi on est particulièrement touchés. Est-ce au niveau de la direction artistique ou des thématiques évoquées ? Les jeux touchent toujours une corde sensible, parfois bien enfouie. C’est ultra personnel. Et d’accord, je comprends parfaitement que tu préfères la présence de dialogues. C’est drôle, c’était aussi mon cas avant, mais je commence à m’habituer aux (et à être vraiment sous le charme des) jeux muets. :p
J’aimeAimé par 1 personne
Je pense effectivement que la direction artistique y est pour beaucoup. Ce mélange entre obscurité et lumière m’a beaucoup plu. Après la thématique doit jouer aussi. En fait, ça doit être le mélange des deux qui a fait que Concrete Genie a vraiment fonctionné avec moi.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour ta belle critique sur ce jeu et l’article toujours aussi agréable à lire ! J’ai aussi été un peu moins séduite (plus de maturité et de challenge dans le jeu ne m’aurait pas déplu) mais c’est difficile de ne pas être charmé par le design, l’histoire qui renvoie à nos histoires/films d’enfance, même dans les personnages, dans la part d’imaginaire et de créativité…et que Denska est jolie, surtout avec toutes les peintures ! Et les Génies sont trop adorables. Je suis persuadée que c’est un jeu qui peut plaire aussi bien aux enfants qu’aux adultes, et qui peut charmer bien des gens. Et on sent très bien ton amour pour ce titre et le plaisir que tu as pris à le faire. Difficile de bouder son plaisir devant cette expérience tant elle est charmante et envoûtante, malgré ses petits défauts.
J’aimeAimé par 1 personne
Je suis vraiment tombé amoureux de mes génies haha, ils étaient tellement mignons ! Et même quand j’essayais d’en faire des « bizarres », je les trouvais beaux et j’aimais interagir avec eux. Je pense que ça m’a vraiment aidé à m’immerger davantage dans l’univers du jeu.
Mais oui, comme tu le dis si bien, c’est typiquement le genre de production qui peut toucher un public aussi bien jeune qu’âgé. Il n’y a pas d’âge pour que cette histoire résonne en nous, et c’est bien ce qui fait sa force !
J’aimeJ’aime
Comme toi, j’ai beaucoup apprécié ce jeu et sa direction artistique. Je suis également d’avis que sa force réside dans les messages qu’il porte en son creux et qu’il communique au joueur par l’intermédiaire du gameplay. Personnellement, j’ai surtout ressenti l’impression d’habiter Denska, notamment à travers l’aspect très vivant des génies auxquels nous donnons vie. Ton article est un bel hommage à ce jeu 🙂 Si tu as l’occasion de consulter leur artbook, il est vraiment top et l’équipe très attachante!
J’aimeAimé par 1 personne
Merci à toi pour ce commentaire ! 🙂
Quand je vois la direction artistique du jeu, ça ne m’étonne pas le moins du monde d’entendre que l’artbook est de qualité. J’espère avoir l’occasion d’y jeter un œil un jour !
J’aimeJ’aime