Aux yeux des joueurs, le PlayStation Showcase du 11 juin 2020 était mémorable à plus d’un titre. Après des mois de silence, Sony y dévoilait en effet sa PS5, accompagnée de futurs mastodontes comme Horizon Forbidden West, Marvel’s Spider-Man: Miles Morales ou encore Ratchet & Clank: Rift Apart. Mais si le constructeur est un habitué des AAA, sa volonté de soutenir la scène indépendante se veut de plus en plus grandissante avec le temps. Ce même jour, nous avons ainsi pu découvrir Kena: Bridge of Spirits, le premier jeu développé et édité par Ember Lab. Et une chose est sûre : c’est un titre qui ne manque pas de surprise.
Test réalisé sur PS5 grâce à un code fourni par l’éditeur
Kena, guide des esprits

Dès son annonce, le jeu imaginé par Mike et Josh Grier, les deux frères à l’origine du studio, n’a pas manqué de faire sensation auprès des joueurs. Il faut dire qu’entre son rendu digne des plus beaux films d’animation et son univers aux apparences aussi douces que mignonnes, il y a de quoi flancher. Pourtant, comme le dit le dicton : les apparences sont parfois trompeuses. Et on peut le dire, Ember Lab a bien caché son jeu. Dans Kena: Bridge of Spirits, nous incarnons Kena, une jeune femme dont le rôle est de guider les esprits bloqués entre deux mondes. Alors qu’elle cherche à rejoindre un sanctuaire situé au cœur de la montagne sacrée, celle-ci tombe sur un village rongé par un mystérieux mal empêchant les esprits de s’en aller. Elle va donc devoir en trouver l’origine afin de pouvoir leur venir en aide, une quête qui sera bien loin d’être de tout repos… pour l’héroïne comme pour le joueur.
Une technique digne des plus grands
Pendant près d’une douzaine d’heures, le jeu nous conduit ainsi à arpenter le village et ses alentours afin de faire la lumière sur toute cette histoire. Mais autant vous le dire tout de suite : le scénario n’est probablement pas le point que l’on retiendra le plus à l’issue de cette aventure. Car si la production d’Ember Lab ne manque pas de poésie avec quelques séquences émouvantes à la clé, la narration se laisse suivre sans vraiment transcender, la faute sans doute à un manque d’approfondissement dans l’écriture. On aurait par exemple aimé en apprendre davantage sur le personnage de Kena, qui reste majoritairement en retrait et dont le rôle et le passé restent un véritable mystère une fois les crédits de fin atteints. De même, le cœur du récit manque parfois quelque peu de clarté en raison d’une narration maladroitement cryptique.



En revanche, que vous soyez amateurs de films d’animation ou non, Kena: Bridge of Spirits n’aura aucun mal à vous charmer dans sa mise en scène. Les compétences cinématographiques des frères Grier sont ici parfaitement exploitées pour donner vie à cet univers, qui multiplie les scènes visuellement époustouflantes et à la photographie des plus inspirées. Autant dire que nous avons ici affaire à un degré d’excellence qu’on ne voit que très rarement dans le milieu des jeux indépendants, ce qui permet à ce nouveau studio de se hisser, dès sa première production, dans le haut du panier en la matière. Bien sûr, cela vaut tout autant pour les séquences cinématiques que pour les séquences de gameplay qui, en dehors de légers ralentissements par moments (même en mode Performance sur PS5), font preuve d’une qualité exemplaire.
Formule classique, défauts classiques
Avant de nous attarder sur l’aspect ayant fait de ce jeu une surprise pour le moins inattendue, arrêtons-nous quelques instants sur son gameplay. Dans l’ensemble, Ember Lab se contente de reprendre le schéma classique du jeu d’action-aventure mêlant exploration, combats et phases de plateformes. Tandis que vous avancerez dans l’histoire, le village et ses alentours s’ouvriront progressivement pour vous plonger au cœur d’un monde semi-ouvert relativement conséquent au sein duquel vous devrez éliminer la corruption, tout en réalisant divers objectifs. Ces derniers, qui font office de quêtes secondaires, permettent alors de mettre la main sur de précieuses ressources qui seront d’une grande utilité lors des principaux affrontements du jeu. Car en effet, Kena: Bridge of Spirits se dote, comme beaucoup de productions actuelles, d’une dimension RPG nous permettant d’améliorer les compétences de l’héroïne pour une meilleure efficacité au combat.
Malheureusement, le studio ne s’est pas contenté de reproduire le schéma traditionnel du genre : il en a aussi reproduit les faiblesses. De ce fait, si les premières heures de jeu s’avèrent réellement plaisantes au rythme de la découverte, on tombe rapidement dans une boucle de gameplay ultra répétitive, pour ne pas dire rébarbative, qui pourra en rebuter plus d’un. À la manière du premier Assassin’s Creed, le titre nous amène en effet de zone en zone en nous demandant d’accomplir les mêmes tâches à répétition. Pourtant, paradoxalement, le sentiment de progression lié à la dimension RPG atteint rapidement ses limites, la faute à un système de compétences et d’équipements dont on fait vite le tour. Et si, comme nous avons pu l’évoquer, certains objectifs secondaires peuvent s’avérer importants pour augmenter la vie de Kena ou la puissance des Rot qui l’accompagnent, la majorité reste purement accessoire et fait davantage office de collectible qu’autre chose.
Un Souls-like bien caché
Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, cela a en réalité plus de sens qu’on ne l’imagine par rapport à la construction du jeu. C’est d’ailleurs sur ce point que le titre d’Ember Lab s’impose comme une surprise plus que déroutante. Car sous ses allures de film d’animation à l’univers plutôt mignon se cache en réalité un jeu dont l’expérience pourrait presque être qualifiée… de Souls-like. Oui, vous avez bien lu. Kena: Bridge of Spirits flirte bien plus qu’on ne l’imagine avec les productions de FromSoftware en raison de ses combats de boss, aussi nombreux que difficiles. À vrai dire, contrairement à ce que la promotion du jeu semblait laisser croire, les séquences d’exploration et de plateformes apparaissent presque davantage comme une passerelle nous amenant de boss en boss que comme de véritables séquences de jeu.

Sans compter qu’elles-mêmes sont régulièrement ponctuées de combats qui, eux aussi, peuvent s’avérer particulièrement ardus selon les ennemis rencontrés. Mais au final, et en dépit du classicisme de son approche en la matière, c’est peut-être sur ce point que le jeu s’en sort le mieux. Équipée d’un bâton permettant aussi bien des attaques au corps-à-corps que des attaques à distance en servant d’arc, Kena dispose d’une palette d’attaques et de mouvements allant du bouclier de protection à l’esquive, en passant par les bombes ou les attaques spéciales des Rot. Et face à la difficulté de certains combats, autant vous dire que ces derniers ne sont pas à négliger. Pour faire simple, plus vous en débusquerez durant les phases d’exploration, plus ils seront nombreux et plus ils vous apporteront en puissance. Une puissance non-négligeable qui, pourtant, reste somme toute relative.
En effet, les Rot sont peut-être puissants, mais ils sont aussi peureux. Et pour pouvoir bénéficier de leur aide, il va falloir remplir une jauge de courage en combattant ses adversaires, ce qui peut prendre un certain temps. Un temps qui peut toutefois être mis à profit pour bien étudier le pattern de ses ennemis, et plus particulièrement des boss, qui doivent être attaqués d’une manière et avec un timing bien précis. Et autant vous prévenir, vous allez certainement mourir un bon nombre de fois avant d’y arriver. Peut-être même plus que dans un jeu comme Returnal, par exemple. Bref, vous l’aurez compris, Kena: Bridge of Spirits est en réalité bien plus exigeant qu’on ne pourrait le croire. Mais soyez rassurés, contrairement aux jeux FromSoftware, vous avez ici plusieurs modes de difficulté à disposition, ce qui permet à l’aventure de rester accessible au plus grand nombre malgré tout.




Une immersion en demi-teinte
S’il a bénéficié d’une sortie sur PC, le jeu d’Ember Lab reste une exclusivité dédiée aux consoles de Sony. Et bien qu’il soit également disponible sur PS4, son développement a visiblement été pensé pour la PS5 si l’on en croit les propos des développeurs. À ce titre, on aurait pu s’attendre à une réelle prise en charge de la manette DualSense qui, à notre grand regret, n’est finalement que très peu exploitée. En dehors des gâchettes adaptatives, qui sont mises à contribution lors de l’utilisation de l’arc, les retours haptiques et le haut-parleur sont de leur côté totalement mis de côté. Cela aurait pourtant permis d’apporter une réelle plus-value à cet univers, qui ne manque définitivement pas de charme et de personnalité. Heureusement, on peut tout de même compter sur les compositions musicales de Jason Gallaty pour cela, qui nous propose une bande-son enchanteresse en toutes circonstances. Enfin, sachez que le jeu ne propose pas de doublage français et impose donc d’emblée la VOST.
Verdict
Alors, Kena: Bridge of Spirits est-il vraiment la pépite indépendante que l’on pouvait imaginer ? Probablement pas, la faute à quelques faiblesses dans sa narration et à son approche aussi classique que répétitive du jeu d’action-aventure. Cependant, il n’en reste pas moins une véritable surprise pour sa dimension Souls-like, que nous pouvions difficilement anticiper mais qui s’avère finalement être l’aspect le plus mémorable et intéressant de ce jeu. Si on ajoute à cela un univers aussi charmant qu’époustouflant techniquement, on tient avec cette première production d’Ember Lab une expérience certes imparfaite, mais extrêmement prometteuse quant à l’avenir du studio.