Avec des licences comme Resident Evil et The Evil Within à son actif, Shinji Mikami est incontestablement précédé par sa réputation de maître de l’horreur. Pourtant, le créateur japonais ne s’en est jamais caché : il est aussi et surtout un grand amateur d’action. C’est pourquoi il n’entend pas enfermer son propre studio, Tango Gameworks, dans le genre du survival-horror. Et il nous le prouve dès aujourd’hui avec Ghostwire: Tokyo, un nouveau projet dirigé par Kenji Kimura et disponible depuis le 25 mars 2022 sur PS5 et PC. Mais le studio a-t-il autant de talent pour produire des aventures frénétiques que frissonnantes ?
Test réalisé sur la version PS5 du jeu
Dans la brume

Ghostwire: Tokyo est peut-être un jeu d’action, mais il faut avouer que son postulat de départ a de quoi faire frissonner. L’histoire débute lorsqu’un mystérieux brouillard se met à envahir la ville de Tokyo et à provoquer la disparition de l’ensemble de la population, alors remplacée par des yōkai malveillants dénommés les Visiteurs. Seul Akito, le personnage que l’on incarne, parvient à échapper à ce funeste destin après avoir été possédé par un esprit du nom de KK. Mais qui est-il, et surtout, que s’est-il réellement passé ? Voilà des questions auxquelles il va falloir trouver des réponses en traquant le responsable de ces événements, un homme masqué dissimulant son identité sous un masque Hannya, tout en sachant que des enjeux bien plus personnels vont rapidement faire surface pour le héros.
Au cœur du folklore japonais
Difficile de le nier, la culture nippone a bénéficié d’un large regain d’intérêt ces dernières années, notamment chez les occidentaux. Ghost of Tsushima, l’excellent titre de Sucker Punch sorti en 2020, est là pour en témoigner. Mais dans le lot, rares sont ceux à l’avoir exploitée comme Tango Gameworks l’a fait avec cette nouvelle production. En effet, l’univers entier de Ghostwire: Tokyo se veut être une ode au folklore japonais : de son cadre à ses créatures, en passant par ses légendes ou même ses consommables composés de mets et boissons traditionnels du pays, absolument rien n’a été laissé au hasard. De quoi promettre une aventure aussi captivante qu’originale donc, même pour les plus hermétiques à cette culture habituellement.
Mais si le titre a d’indéniables qualités sur lesquelles nous reviendrons dans les lignes qui vont suivre, ce n’est malheureusement pas pour son scénario que nous le retiendrons. En dehors de deux ou trois moments en particulier, le nouveau jeu des créateurs de The Evil Within souffre en effet d’une narration plate et très convenue qui manque cruellement de développement, et qui nous laisse même sur notre faim au terme de l’aventure. En ne cessant de nous balader d’un bout à l’autre de la ville sous des prétextes plus que légers, l’histoire ne parvient jamais réellement à nous donner envie de continuer pour en savoir plus. Et ce n’est pas le casting du jeu, loin d’être transcendant, qui va nous y aider. Au contraire même puisqu’en plus de paraître assez forcée, l’omniprésence de la relation qui se noue entre Akito et KK va avoir tendance à rendre ce dernier assez antipathique.


C’est d’autant plus dommage que s’il y a bien un point sur lequel le jeu excelle, c’est son ambiance. Parcourir les rues complètement désertes et inanimées de Tokyo, qui garde pourtant les traces de toute cette vie tout juste disparue en l’espace d’une fraction de seconde, est tout simplement saisissant. Sans jamais faire peur, puisque ce n’est évidemment pas l’objectif de Tango Gameworks ici, Ghostwire: Tokyo propose tout de même quelques passages assez angoissants qui raviront notamment les fans de The Evil Within. Et paradoxalement, c’est ici que se situe l’un des problèmes du jeu : les meilleurs moments se trouvent finalement dans des missions secondaires qui, tout en étant inégales, sont de loin celles qui exploitent le mieux le folklore dans son ensemble. Autant dire que c’est le genre de chose que nous aurions aimé retrouver au cœur de la quête principale.
Les fantômes du passé
En plus de rendre l’aventure plus originale et donc plus mémorable, cela lui aurait peut-être également permis de moins souffrir de la redondance de sa structure, qui atteint rapidement ses limites. Car si une petite dizaine d’heures suffisent à atteindre le bout de l’histoire, Ghostwire: Tokyo passe malgré tout le plus clair de son temps à nous faire répéter les mêmes choses en boucle. Et cela se ressent d’autant plus à partir du moment où l’on décide de se consacrer aux nombreuses activités annexes, qui rajoutent vingt à trente bonnes heures de jeu. En effet, pour chacun des quartiers de la ville, vous aurez généralement le même type d’objectifs à accomplir : attraper des yōkai, ramasser des reliques pour les échanger contre divers bonus, débusquer des tanukis, récupérer des notes ou des journaux vocaux, et autres joyeusetés du genre. Sans oublier l’objectif le plus vertigineux de tous : collecter les 240 300 esprits éparpillés sur la map.





Alors, rassurez-vous : ils se récupèrent par centaine(s) à chaque fois, mais cela ne rend pas la tâche moins fastidieuse pour autant. Précisons également que toutes les zones ne sont pas disponibles dès le début, et qu’il faut à chaque fois purifier des sanctuaires torii plus ou moins bien gardés pour en débloquer l’accès. Bref, vous l’aurez compris, la variété n’est définitivement pas le point fort du jeu. Et s’il est indéniable que le fait de pouvoir se promener dans cette reconstitution particulièrement réussie de Tokyo, de ses rues à ses hauteurs, a de quoi séduire, cela n’empêchera pas certains joueurs d’être rebutés par l’approche dépassée du monde ouvert. Un point d’autant plus regrettable qu’avec un tel cadre, le studio aurait sans doute pu concevoir quelque chose de plus spécifique et adapté.
Akito contre les yōkai
Évidemment, tout ceci n’est pas obligatoire. À vrai dire, c’est même loin d’être indispensable pour la quête principale, qui peut aisément être terminée sans passer par toutes ces activités annexes. Néanmoins, ces dernières constituent le meilleur moyen de remporter de l’EXP et quelques autres bonus afin d’améliorer les performances au combat et la résistance d’Akito. Et autant vous dire que côté combats, vous serez plus que servis. Comme évoqué plus haut, Ghostwire: Tokyo est un jeu d’action pur et dur et il n’entend pas lésiner sur les affrontements, ce qui est loin d’être un problème étant donné qu’il fait les choses vraiment bien à ce niveau-là. L’utilisation des différents pouvoirs, à savoir le vent, l’eau et le feu, est particulièrement jouissive, surtout lorsqu’elle est couplée à l’utilisation de l’arc pour le combat à distance et des talismans pour les attaques spéciales, qui permettent ainsi de réaliser de beaux combos.



Toutefois, il est un peu dommage que Tango Gameworks ne soit pas allé plus loin encore dans le concept. En effet, s’il est terriblement classe à tous les niveaux, le bestiaire est malheureusement moins diversifié dans son approche qu’on ne pouvait l’imaginer. De plus, l’absence de toute dimension stratégique reste plus que regrettable puisque cela aurait permis de rendre les combats plus intéressants encore. Car en l’état, il suffit généralement de spammer les ennemis jusqu’à être en mesure de leur arracher le cœur pour pouvoir s’en débarrasser, peu importe le type d’adversaire auquel on a affaire. Et cela vaut également pour les boss qui, malgré leur design exceptionnel, n’échappent pas non plus à cette règle. Alors oui, c’est une certitude, le jeu a réussi son objectif de proposer une aventure ultra dynamique qui fait office de très bon défouloir. Mais il faut avouer qu’il est tout de même passé à côté d’une belle opportunité.
Tokyo jusqu’au bout des doigts
En revanche, point intéressant à souligner, l’exploitation de la manette DualSense sur PS5 est réellement admirable. À vrai dire, il s’agit même d’ores et déjà du jeu qui l’exploite le mieux avec Returnal, Astro’s Playroom mis à part. Par-delà l’utilisation des gâchettes adaptatives, que l’on retrouve désormais dans tous les jeux, c’est surtout la manière dont les retours haptiques et le haut-parleur sont mis à contribution dans les différentes situations qui est réjouissante. Par exemple, les retours haptiques vous permettront de ressentir la pluie tandis que le haut-parleur, en plus de vous transmettre la voix de KK, produira un son particulier lorsqu’un élément important sera à proximité. Cela peut aller du jingle vous indiquant qu’un collectible est proche de vous au grésillement vous alertant de la présence d’ennemis dans les parages… (Vous avez dit Silent Hill ?)
On peut également compter sur l’utilisation du pavé tactile lors de certaines phases nécessitant de reproduire des sceaux gestuels mais pour le coup, il faut avouer que le résultat n’est pas vraiment au rendez-vous. De manière plus générale encore, Ghostwire: Tokyo se situe sans aucun doute dans le haut du panier sur le plan technique : modélisation incroyablement réussie de la ville, gestion des éclairages impressionnante et effets visuels aussi nombreux que de toute beauté sont au programme. Il est toutefois recommandé d’opter pour le Mode Performance, qui permet de jouer en 60 fps, car le Mode Qualité souffre malheureusement de nombreux et désagréables ralentissements. Cela dit, la différence graphique entre les deux est plus que minime, alors autant privilégier la fluidité avant tout.
Verdict
Entre son annonce et sa sortie, Ghostwire: Tokyo en aura assurément dérouté plus d’un. Il faut dire que la nouvelle direction prise par Tango Gameworks avec ce titre a de quoi surprendre. Pour autant, le résultat est là : il s’agit effectivement d’un bon jeu d’action dont l’univers, l’ambiance et les combats frénétiques ont de quoi séduire. Toutefois, il est difficile d’ignorer la structure ouverte dépassée, les opportunités manquées et les maladresses du studio qui, malheureusement, ne parvient pas à porter son concept aussi loin qu’il n’aurait pu le faire. Et c’est réellement dommage car par conséquent, Ghostwire: Tokyo n’est pas une expérience qui marquera les esprits, même si cela ne nous empêche pas de passer un agréable moment manette en mains.